Exploitation de déchets miniers de l’amiante

De nouveaux drames humains à l'horizon

Vue d'un quartier de Thetford Mines

La ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, a annoncé récemment que le règlement censé interdire l’amiante au Canada avait été adopté et qu'il entrera en vigueur le 30 décembre 2018.

S’il interdit effectivement la vente et l’utilisation de l’amiante, le règlement permet l’exploitation des déchets miniers laissés par l’industrie de l'amiante à Asbestos et Thetford Mines. Avec l’appui ou la complicité des différents paliers de gouvernement et de la CNÉSST, une nouvelle vague de victimes de l’amiante se prépare.

L’amiante est une fibre minérale flexible et résistante au feu. Ces propriétés l’ont longtemps rendu attrayant dans plusieurs secteurs industriels, comme celui du bâtiment. Suite à la découverte de gisements d’amiante dans les années 1870 dans la région de Thetford Mines, puis par la suite à Asbestos, des mines ont été creusées et le Québec est peu à peu devenu un important producteur mondial de ce qu’on appelait jadis « l’or blanc ».

Malheureusement, comme de nombreux mineurs et d'autres travailleuses et travailleurs devaient l’apprendre à leur dépend au cours du dernier siècle, la fibre d’amiante est extrêmement dangereuse pour la santé humaine. L’exposition à l’amiante cause en effet de graves maladies pulmonaires telles que l’amiantose, le cancer pulmonaire ou le mésothéliome, un cancer agressif toujours mortel.

Des décennies d’extraction et d’utilisation de l’amiante ont entraîné un véritable désastre pour la santé de millions de travailleuses et de travailleurs à l’échelle planétaire et au Québec en particulier. Encore aujourd’hui, l’amiante est le premier tueur au travail dans le monde. Au Québec, il est responsable de plus de la moitié des décès professionnels reconnus chaque année par la CNÉSST.

Malgré la fermeture des mines au cours des dernières années, le nombre de décès causés par des maladies professionnelles reliées à l’amiante continue de croître chaque année. La CNÉSST en reconnaissait 145 pour la seule année 2017.

En raison de sa dangerosité importante, près d’une soixantaine de pays interdisent désormais l’usage de toute forme d’amiante. Soutenant l’industrie de l’amiante contre vents et marées, le Canada, avec l’appui du Québec, a longtemps défendu la possibilité de son usage sécuritaire et s’est opposé à son inscription sur une liste de substances cancérigènes, en dépit d’un large consensus scientifique.

Avec la fermeture des dernières mines au Québec et l’arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau en 2015, la position canadienne a finalement évolué. Le Canada reconnait désormais officiellement le caractère cancérigène de l’amiante et dit souhaiter son interdiction. En janvier 2018, le projet de Règlement interdisant l’amiante et les produits en contenant a été déposé à cet effet. Désormais adopté, il interdira à compter du 30 décembre 2018 l’importation, la vente et l’utilisation des fibres d’amiante traitées et des produits contenant de l’amiante.

L’enjeu de l’utilisation des résidus de l’amiante

Cette interdiction de l’amiante pourrait nous faire croire qu’une triste page d’histoire est en voie d’être tournée. Malheureusement, le règlement fédéral exclut les résidus miniers de l’amiante de son application. Cela signifie que l’utilisation et l’exploitation des immenses montagnes de déchets d’amiante qu’on retrouve notamment à Thetford Mines et à Asbestos seront permises.

Il faut savoir que les compagnies minières laissent un lourd héritage qui ne se limite pas aux maladies et aux décès causés par l’amiante. À Thetford Mines et à Asbestos, de véritables montagnes de résidus (nommées « haldes ») défigurent le paysage près des sites miniers. On évalue à quelques 800 millions de tonnes ces déchets miniers qui entourent les deux villes.

Ces montagnes de résidus contiendraient entre 20 % et 40 % de fibres d’amiante, mais aussi d’autres minéraux que convoitent certaines entreprises. En effet, plusieurs projets d’exploitation à grande échelle des résidus de l’amiante, qui prévoient l’excavation des haldes, sont en marche sur les anciens sites miniers.

Pour les compagnies qui envisagent ces projets, les haldes d’amiante ne sont pas des sources de danger, mais plutôt des ressources à exploiter pour d’importants profits potentiels. Plusieurs souhaitent extraire le magnésium de ces résidus. Cette perspective est particulièrement alléchante dans le contexte de la guerre commerciale que le président américain Donald Trump livre actuellement à la Chine, qui a pour effet d’ouvrir le marché américain du magnésium, le rendant particulièrement lucratif.

L’entreprise Alliance Magnésium pilote l’un des plus importants de ces projets. La compagnie prétend être en mesure de décontaminer les résidus miniers d’Asbestos pour en extraire le magnésium. Le projet est appuyé par le gouvernement du Québec qui y contribue à hauteur de 31 millions $. À ce soutien provincial s’est ajouté celui du gouvernement fédéral qui a annoncé, le 19 octobre 2018, l’investissement de 12 millions $ dans l’entreprise. Ironiquement, la subvention fédérale provient du fonds Technologies du développement durable Canada, destiné à financer des projets censés être bénéfiques pour l’environnement. Fort du soutien des deux paliers de gouvernement, Alliance Magnésium est donc sur le point de débuter les opérations dans son usine-pilote, mais espère éventuellement construire une plus grande usine qui serait capable de produire au moins 50 000 tonnes de magnésium par année.

D’autres entreprises ont aussi le projet d’exploiter de tels déchets miniers, tel que Mag-One, qui possède également une usine-pilote dans la région d’Asbestos. L’entreprise a elle aussi bénéficié d’une subvention de Québec pour la construction de cette usine.

D’autres compagnies convoitent pour leur part les haldes de Thetford Mines. On peut mentionner les entreprises KSM et Mazarin, qui ont établi un partenariat autour d’un projet de production de fertilisants à partir des métaux qu’elles souhaitent extraire des déchets miniers. De son côté, l’entreprise Nichromet, qui a bénéficié d’un soutien financier de plusieurs millions $ du gouvernement du Québec pour la construction d’une usine-pilote, souhaite notamment extraire le nickel des résidus d’amiante de Thetford Mines.

Le débat sur le projet de règlement fédéral

Tous ces projets ont en commun d’impliquer l’excavation massive des haldes de déchets d’amiante de Thetford Mines et d’Asbestos et le transport par camion des résidus. Ils soulèvent, à juste titre, la crainte d’une prochaine exposition quotidiennement à l’amiante pour des centaines de travailleuses et de travailleurs, comme au temps où les mines étaient en opération, sans compter les risques de dispersion des fibres dans l’air pour la population environnante. Assisterons-nous à une nouvelle vague de victimes de l’amiante?

Des voix se sont élevées face à ce qui risque de devenir un nouveau désastre pour la santé publique. Ainsi, les 17 directrices et directeurs régionaux de la Santé publique du Québec avaient signé et déposé un rare avis unanime dénonçant l’exclusion des résidus miniers de l’application du règlement. Ces médecins soulignaient que la mise en circulation de fibres d’amiante au pays depuis plus d’un siècle a créé une catastrophe de santé publique dont on ne verra la fin que dans plusieurs décennies. Si l’interdiction de l’amiante permettait d’entrevoir la fin du problème, sans un sévère encadrement de l’exploitation des résidus de l’amiante, le désastre a toute les chances de se prolonger.

Les médecins de la Santé publique ne sont pas les seuls à s’inquiéter des conséquences tragiques prévisibles de l’exploitation massive des résidus miniers. L’Association des victimes de l’amiante du Québec (AVAQ) a également déposé des commentaires pour dénoncer les risques de l’exploitation des résidus de l’amiante et demander la modification du projet de règlement. L’association demande notamment l’interdiction de la vente et de l’utilisation des résidus minier et la mise en place d’une zone de sécurité autour des haldes, à l’intérieur de laquelle aucune habitation ne devrait se retrouver et pour laquelle il serait nécessaire, s’il y a lieu, de déménager des résidences.

L’adoption du règlement fédéral pour interdire l’amiante aurait pu être l’occasion de mettre fin une fois pour toute à ces risques. Mais les entreprises porteuses de ces projets ont fait de lourdes pressions pour que le règlement permette l’exploitation des résidus de l’amiante. Avec l’appui des autorités municipales d’Asbestos et de Thetford Mines et celui du gouvernement du Québec, l’industrie a tout mis en œuvre pour que le projet de règlement du gouvernement Trudeau ne s’applique pas à l’exploitation des déchets miniers.

On sait maintenant qu’en dépit de ces risques, l’intense lobbying de l’industrie a finalement été fructueux puisque le règlement permet effectivement l’exploitation des déchets miniers. Le gouvernement fédéral a donc priorisé les activités économiques et les profits des compagnies au dépend de la santé des travailleuses, des travailleurs et des communautés.

L’attitude honteuse du gouvernement du Québec

Le fait que le règlement fédéral donne le feu vert à l’exploitation massive des déchets d’amiante, malgré l’avis des scientifiques et sans égard pour les risques à la santé, est certainement attribuable en bonne partie à la position et aux pressions du gouvernement du Québec. Ayant investi plusieurs millions de dollars de fonds publics dans des projets d’exploitation des résidus, le gouvernement Couillard ne souhaitait évidemment pas que ces investissements soient perdus par une interdiction fédérale.

En plus d’appuyer sans réserve les projets d’exploitation des résidus de l’amiante, des ministres sont intervenus pour faire obstacle à tout contrôle de l’industrie, quitte à ignorer la réglementation déjà en vigueur. En 2015, alors qu’il était ministre du Travail, Sam Hamad serait intervenu auprès de la CNÉSST, à la demande du ministre Laurent Lessard, pour faire en sorte que les inspecteurs en santé et sécurité au travail renoncent à faire appliquer certaines contraintes sécuritaires concernant le travail en présence d’amiante dans la région de l’Amiante. Encore aujourd’hui, la CNÉSST reconnaît des « modalités d’application différentes du règlement » dans cette région, admettant qu’elle y tolère des pratiques qui seraient interdites partout ailleurs.

Les retards dans la révision de la norme d’exposition maximale à l’amiante en vigueur au Québec sont aussi inquiétants. La norme québécoise d’exposition à l’amiante, qui permet que des travailleuses et travailleurs soient exposés à 1 fibre d’amiante par centimètre cube, est dix fois plus permissive que les normes canadiennes ou américaines et cent fois plus permissive que celles de certains pays européens. Le Québec est ainsi l’endroit du monde occidental qui protège le moins les travailleuses et travailleurs du danger de l’amiante. Mais comme la nécessaire mise à jour de la norme risque de nuire à la rentabilité des projets d’exploitation des résidus de l’amiante, on préfère faire passer les intérêts commerciaux des entreprises avant la santé des travailleuses et des travailleurs.

Pour une interdiction complète de l’amiante

Dans le dossier de l’amiante, le Québec et le Canada semblent incapables d’apprendre de l’histoire. Pendant plusieurs générations, l’exploitation et l'utilisation de l’amiante ont causé la mort de milliers de travailleuses et de travailleurs, particulièrement au Québec. Compte tenu du délai de développement des maladies causées par l’amiante, la fibre toxique continuera de faire des victimes au cours des prochaines décennies.

Plutôt que de mettre fin aux drames à venir en cessant une fois pour toute d’utiliser l’amiante sous toutes ses formes, comme la science et les spécialistes de la santé publique le recommandent, le Québec et le Canada s’acharnent à répéter les erreurs du passé. L’exploitation des déchets de l’amiante prépare en effet une triste répétition de l’histoire.

Pour éviter une nouvelle catastrophe, il aurait fallu interdire toute utilisation de l’amiante, y compris de ses résidus qui contiennent toujours des fibres d'amiante, comme le recommande entre autres l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il faudrait aussi que la norme d’exposition à l’amiante du Québec rejoigne celle, de 10 à 100 fois plus sévère, des autres pays avancés en la matière.

Tant que les profits de l’industrie primeront sur la santé humaine, on se condamne à répéter les désastres du passé. Souhaitons que les médecins et les scientifiques, qui placent la santé et la sécurité des travailleuses et des travailleurs avant la santé financière des entreprises, finissent un jour par avoir le dernier mot…

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