Mise à jour

Le gouvernement du Québec a adopté le décret approuvant ce règlement sans aucune modification. Le décret a été publié le 19 avril 2017 et le règlement entrera en vigueur quinze jours plus tard. Ce texte, qui a été rédigé en octobre 2016, est donc toujours d'actualité puisque le projet de règlement n'a pas été modifié.

Pour consulter le texte du nouveau règlement : Décret 385-2017

Nouvelles règles de preuve et de procédure du TAT

L’exercice des recours par les travailleuses et les travailleurs deviendra-il plus difficile?

Le 5 octobre dernier, le Tribunal administratif du travail (TAT) faisait publier à la Gazette officielle du Québec un projet de règlement sur ses règles de preuve et de procédure. Lorsqu’il aura été approuvé par le gouvernement, ce règlement remplacera les règles de la Commission des lésions professionnelles (CLP) et de la Commission des relations du travail (CRT) qui sont toujours en vigueur malgré la fusion des deux tribunaux le 1er janvier dernier.

Bien que plusieurs puissent considérer ce type de règlement comme étant quelque chose de très technique qui s’adresse avant tout aux plaideurs, on ne doit pas minimiser l’importance que cela aura sur l’exercice des droits et recours des travailleuses et des travailleurs. En effet, plus on ajoute des contraintes procédurales, plus le risque de ne pas pouvoir exercer correctement un droit ou un recours augmente, particulièrement pour les personnes qui ne font pas partie d’une organisation qui offre un soutien à ses membres. Il s’agit donc d’un enjeu important.

À la lecture du projet de règlement, on ne peut que constater que les victimes de lésions professionnelles feront dorénavant face, si le projet est approuvé tel quel, à une plus grande rigidité procédurale par rapport à la situation actuelle, peu importe qu’ils soient syndiqués ou non. Cependant, les travailleuses et travailleurs non syndiqués risquent d’être plus affectés que les autres.

En effet, le projet s’inspire grandement des règles de la CRT, plus rigides que celles de la CLP, qui prennent souvent pour acquis que les deux parties en présence sont habituellement représentées par des organisations bien organisées; or, ce n’est pas la réalité en matière de réparation des lésions professionnelles puisque plus de la moitié des travailleuses et des travailleurs qui se présentent devant la division de la santé et de la sécurité du TAT ne sont pas représentés.

Examinons les principaux éléments de ce projet de règlement qui risquent de s’avérer problématiques dans les litiges relatifs aux lésions professionnelles.

Appliquera-t-on dorénavant les règles de preuve civiles?

Les règlements actuels de la CLP et de la CRT prévoient explicitement que le tribunal n’est pas tenu à l’application des règles de procédure et de preuve civiles. Or, aucun article du projet de règlement ne traite de cette question. On y stipule plutôt que les actes de procédure et la présentation de la preuve d’une affaire « doivent être proportionnés à sa nature et à sa complexité ». Il est assez difficile de prédire comment les juges interpréteront ce concept vague et imprécis dans un dossier complexe, tel un dossier de maladie professionnelle d’intoxication ou un dossier d’aggravation d’une condition personnelle préexistante : la procédure sera plus rigide ou plus souple?

Il y a évidemment dans le projet de règlement certaines règles de procédure et de preuve qui s’écartent explicitement des règles civiles, telles le pouvoir de prendre connaissance d’office des faits généralement reconnus, des opinions et des renseignements qui relèvent de la spécialisation du tribunal, ou encore d’autoriser qu’une preuve faite dans un dossier du tribunal soit versée dans un autre dossier. Mais lorsqu’il n’y a pas de règle explicite, le TAT pourrait-il s’écarter des règles de preuve civile. Par exemple, la CLP n’était pas tenue aux règles de procédure civile sur le ouï-dire et elle a souvent accepté l’admissibilité d’une telle preuve en se fondant sur l’article 2 de son règlement qui prévoit que le tribunal n’est pas tenu à l’application des règles de procédure et de preuve civiles, ce qui inclut la règle concernant le ouï-dire. Comme il n’y a pas de règle spécifique sur le ouï-dire dans le présent projet de règlement, le tribunal pourrait décider qu’il se doit d’utiliser les règles de procédure civile sur cette question.

Ainsi, si le projet de règlement est adopté tel quel, nous risquons d’assister à une plus grande rigidité procédurale qui désavantagera les travailleuses et travailleurs non représentés.

Une procédure de contestation plus contraignante

L’article 12 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail (LITAT) stipule que l’acte introductif précise les conclusions recherchées et expose les motifs invoqués au soutien de celles-ci et qu’il contient tout autre renseignement exigé par les règles de preuve et de procédure du Tribunal. Le projet de règlement ajoute à la nécessité de préciser les conclusions et d’exposer les motifs en déterminant que l’acte introductif doit aussi être accompagné d’un exposé sommaire des faits.

On comprend du nouveau texte que l’exposé des faits ne se fera pas dans une section de l’acte introductif, mais plutôt dans un document l’accompagnant. Ainsi, afin de respecter tant la loi que le règlement, il serait dorénavant nécessaire :

  • D’exposer sommairement les faits;
  • D’exposer les motifs invoqués;
  • De préciser les conclusions recherchées.
  • Donc, il est manifeste qu’une mention du type « cette décision est mal fondée en faits et en droit. Pour ces motifs, nous demandons au tribunal d’accueillir la contestation et de déclarer que… » ne sera plus suffisante.

    La nouvelle procédure introductive d’instance semble ainsi s’inspirer grandement des règles de procédure civile, ce qui rendra la tâche beaucoup plus complexe pour les travailleuses et travailleurs non représentés.

    L’ajout de l’exposé sommaire des faits provient des règles de preuve actuelles de la CRT (art. 3.4°). Il est possible qu’en droit du travail, lorsque les deux parties sont représentées, qu’un tel exposé soit utile dès l’acte introductif d’instance. Mais pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs non-syndiqués, qui n’ont très majoritairement pas de représentant au moment de la contestation, une telle exigence est trop lourde et risque d’avoir des conséquences désastreuses pour la suite du dossier.

    Rappelons qu’environ 50% des québécoises et québécois ont des problèmes d’analphabétisme (19% sont analphabètes et 34% sont analphabètes fonctionnels). Soulignons également que bon nombre de travailleuses et de travailleurs immigrants (50% des victimes de lésions professionnelles à Montréal sont des personnes issus de l’immigration) ont souvent des difficultés d’écriture en français ou en anglais. Plus il y aura des exigences procédurales écrites complexes, plus l’exercice des recours deviendra difficile.

    L’acte introductif qui vise à contester d’une décision qui refuse de reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle devra aussi être accompagné de la liste des employeurs pour qui a été exercé un travail de nature à engendrer la maladie. La formulation du règlement actuel de la CLP permet dans la pratique de fournir ces informations après voir contesté (actuellement, le TAT, comme l’ancienne CLP, fait parvenir un formulaire à la travailleuse ou au travailleur après la contestation, une fois le dossier ouvert).

    Cette exigence de fournir la liste des employeurs antérieurs au moment de faire la contestation comporte deux risques importants :

    Bien des travailleuses et travailleurs âgés (ceux qui ont le plus de maladies professionnelles) ne se souviennent pas nécessairement de tous les employeurs pour lesquels ils ont travaillé et ne savent pas où trouver ces informations (par exemple à Retraite-Québec), et s’ils le savent, le délai pour obtenir l’information de cet organisme pourrait bien faire en sorte qu’ils produisent leurs contestations hors délai;

    La connaissance médicale, toxicologique ou autre permettant de connaître les employeurs où il a exercé un travail de nature à engendrer la maladie n’est certainement pas une connaissance de base d’une ouvrière ou d’un ouvrier. Qu’arrivera-t-il aux travailleurs qui auront omis des emplois significatifs? Ou aux travailleurs qui auront listé l’ensemble des 10-20 ou 30 employeurs où ils ont travaillé pendant leur vie active?

    Ces formalités supplémentaires et beaucoup plus complexes risquent fort de décourager plusieurs travailleuses et travailleurs d’entreprendre un recours ou de faire en sorte que les délais ne seront pas respecter, entraînant ainsi la déchéance de leurs droits.

    Un tribunal aux pouvoirs plus étendus en matière de preuve

    Le projet de règlement prévoit que le tribunal pourra dorénavant exiger d’une partie qu’elle expose ou précise ses prétentions par écrit ou qu’elle dépose tout document ou tout élément de preuve dans le délai qu’il détermine. Il pourra aussi exiger d’une partie la liste des témoins qu’elle veut faire entendre, ainsi qu’un exposé sommaire de leur témoignage. Le règlement actuel de la CLP ne prévoyait pas des pouvoirs aussi étendus en matière de preuve.

    Ainsi, le tribunal pourrait-il exiger d’une partie qu’elle dépose une expertise qu’elle n’entend pas déposer en preuve? (les parties devraient pourtant pouvoir décider de leur preuve). Pourrait-il exiger des parties qu’elles déposent une argumentation écrite avant ou après l’audience?

    Le pouvoir exiger d’une partie la liste des témoins qu’elle veut faire entendre, ainsi qu’un exposé sommaire de leur témoignage, risque de compliquer passablement la vie des travailleuses et travailleurs non représentés, notamment en ce qui concerne l’exposé sommaire pour celles et ceux qui ont des difficultés d’écriture. De plus, avoir l’obligation de fournir une liste de témoins dans des milieux non syndiqués risque de favoriser l’exercice de pressions indues du patron à l’égard de ces travailleuses et travailleurs. Les témoins qui acceptent de témoigner sont habituellement rares dans ces milieux à cause de la peur de sanctions : une telle règle risque d’aggraver la situation.

    Le projet de règlement prévoit que si une partie ne répond pas à une demande du tribunal dans le délai prévu, le tribunal peut refuser le dépôt du document ou l’élément de preuve, ou encore refuser toute preuve se rapportant à l’élément exigé. Par exemple, le tribunal pourrait refuser un dossier médical que le département des archives d’un hôpital a acheminé en retard ou encore d’entendre un témoin si l’exposé sommaire de son témoignage n’a pas été acheminé à l’avance.

    Il est aussi prévu que le tribunal puisse rendre sa décision sans autre avis ni délai si une partie ne répond pas à une demande du tribunal dans le délai : pourrait-il devenir possible que le tribunal rende une décision sans la tenue d’une audience?

    En matière de réparation de lésions professionnelles, ces pouvoirs du tribunal lui permettant d’imposer ce type d’exigences procédurales aux parties, nous semblent exagérés.

    Délai de transmission du dossier par le tribunal

    Le projet de règlement fixe un délai d’au moins de 15 jours avant la tenue de l’audience pour la transmission par le tribunal du dossier qui sera utilisé lors de l’audience. Ce délai est nettement insuffisant, notamment pour les travailleurs non représentés qui n’ont pas de copie du dossier de la CNÉSST, ce qui est très fréquent.

    Rappelons que la CNÉSST (et la CSST auparavant) n’a jamais respecté son obligation de transmettre le dossier aux parties dans les 20 jours de la transmission de la contestation prévu à la loi (article 13 LITAT : Sur réception d’un acte introductif dans une affaire relevant de la division de la santé et de la sécurité du travail, le Tribunal en délivre une copie aux autres parties et à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. Cette dernière transmet alors au Tribunal et à chacune des parties, dans les 20 jours de la réception de la copie de cet acte, une copie du dossier qu’elle possède relativement à la décision contestée.)

    Or, le TAT reçoit lui ce dossier dans les 20 jours et nous comprenons mal pourquoi il ne pourrait pas l’acheminer aux parties dans les jours qui suivent plutôt que d’attendre à quelques jours de l’audience.

    Délai pour le dépôt d’un rapport d’expert

    Le projet de règlement stipule qu’un rapport d’expert est déposé au dossier du tribunal au moins 30 jours avant la date fixée pour la tenue de l’audience. Le délai actuel de 15 jours prévu au règlement de la CLP serait ainsi porté à 30 jours.

    Les travailleuses et les travailleurs, particulièrement les non-syndiqués, seront désavantagés par cette augmentation du délai. Contrairement aux employeurs et aux mutuelles de prévention, qui ont souvent accès à des experts qui leur offrent des disponibilités régulières, les travailleuses et travailleurs doivent plutôt chercher l’expert et attendre un rendez-vous pendant une période considérable.

    Nouvelles exigences concernant les remises d’audience

    Le projet de règlement ajoute de nouvelles exigences, par rapport aux règles actuelles, qui vont rendre beaucoup plus difficiles les remises d’audiences pour les travailleuses et travailleurs accidentés ou malades.

    Les demandes devront être faites par écrit et accompagnées de pièces justificatives. En plus de contenir les motifs justifiant la demande, le consentement des autres parties et la durée probable de l’audience, il faudra dorénavant indiquer s’il y aura nécessité d’une preuve d’expert et la présence d’un expert lors de l’audience ainsi que les dates « rapprochées » de disponibilité de chacune des parties.

    Il faudra donc dorénavant indiquer si une preuve d’expert est nécessaire dans un litige, même si ce n’est pas l’objet de la demande de remise. Cela risque de causer des problèmes importants, particulièrement pour les travailleuses et travailleurs non représentés au moment de la demande de remise. Par exemple, si une travailleuse, convoquée à une audience dans cinq semaines pour un litige portant sur un emploi convenable qu’elle a contesté trois semaines auparavant (rôle accéléré pour les dossiers à risque de « chronicité »), demande une remise parce qu’elle veut être représentée par avocat et que son rendez-vous à l’aide juridique est dans un mois, elle devra déterminer elle-même au moment de faire sa demande de remise, sans conseil juridique, si elle a besoin d’une expertise en orientation professionnelle par exemple et ce même si elle ne sait même pas que ce type d’expertise existe.

    Quant aux dates de remises, le règlement actuel de la CLP spécifie qu’il faut indiquer les dates « retenues » alors que le projet de règlement parle de dates « rapprochées ». On comprend qu’il faudra dorénavant choisir les dates de disponibilités des parties les plus rapprochées de la date de la demande de remise, même lorsqu’il sera manifeste que les parties ne seront pas prêtes à procéder (par exemple, attente qu’un litige médical en psychiatrie contesté au BÉM monte au tribunal). On risque d’assister à une augmentation de demandes de remise subséquentes ou, à défaut, à une augmentation des audiences (car moins de litiges pourront être joints). Cette multiplication des procédures et des litiges affectera particulièrement les travailleuses et travailleurs non-syndiqués qui n’ont pas accès aux ressources financières leur permettant de payer des honoraires pour faire de multiples demandes de remises ou de multiples audiences.

    Le projet de règlement indique que le tribunal pourra refuser une demande de remise, notamment en raison de la nature de l’affaire, de l’impossibilité de fixer de nouveau l’audience à une date suffisamment rapprochée, de l’obligation de respecter un délai prévu dans une loi ou de la conduite de la partie qui fait la demande.

    Ainsi, une travailleuse ou un travailleur qui a besoin d’une remise d’audience pour trouver un représentant pourrait voir sa demande refusée sous prétexte que le médecin de l’employeur ne serait pas disponible pour témoigner avant 10 mois si la remise était accordée.

    Le tribunal pourrait aussi refuser une remise si la nouvelle date contrevient à un délai prévu dans la loi : pourrait-il, par exemple, refuser une demande si cette nouvelle date ne permettrait pas au tribunal de rendre sa décision les 9 mois du dépôt de l’acte introductif (même si tout le monde sait qu’il est très fréquent que le tribunal ne respecte pas ce délai, la loi prévoit quand même que le Tribunal doit rendre sa décision dans les neuf mois selon l’article 45 LITAT)?

    Le projet de règlement prévoit aussi que lorsque la demande de remise est motivée par la nécessité de recourir à un expert, le tribunal peut demander à la partie qui soumet la demande de confirmer que l’expert accepte le mandat.

    Cette exigence serait, dans les faits, presqu’impossible à être réalisée par une travailleuse ou un travailleur non représenté dans un délai raisonnable lui permettant de produire une demande de remise. En effet, il lui faudrait :

  • avoir obtenu une copie complète du dossier;
  • avoir analysé le dossier afin de savoir que le litige nécessite une expertise médicale;
  • avoir réussi à trouver un médecin expert;
  • avoir rédigé et transmis au médecin une demande d’expertise;
  • que celui-ci ait fixé une date de rendez-vous;
  • que celui-ci ait donné une date ferme pour la production de son expertise;
  • avoir obtenu une confirmation écrite du médecin.
  • Pour des personnes qui n’ont pas accès à une banque d’experts, un tel processus prend souvent plusieurs semaines, sinon quelques mois à être complétés. Seules les organisations qui font un volume important de dossiers pourront satisfaire à ces exigences.

    Conclusion

    Ce survol des principaux problèmes avec le projet de règlement sur les règles de preuve et de procédure du TAT nous permet de constater que les travailleuses et travailleurs accidentés ou malades pourraient faire face, si ce projet est approuvé, à plus grande rigidité procédurale qui pourrait faire en sorte que l’exercice de leurs droits et recours serait entravé de façon importante.

    Les règles et les procédures d’un tribunal administratif ayant à statuer sur une loi d’ordre public à portée sociale et remédiatrice devraient viser à rendre la justice plus accessible. Ce projet de règlement pourrait aller dans un sens diamétralement opposé.

    Pour prendre connaissance des commentaires de l'uttam acheminés à la ministre responsable du Travail: Commentaires de l'uttam

     

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