Enjeux-SST

Bulletin n° 10

Abolition de la présomption d’incapacité à 55 ans et plus

Forcer des victimes âgées à chercher un nouvel emploi

Le projet de loi n° 59 prévoit des modifications qui attaquent le droit à l’indemnité des travailleuses et des travailleurs dans différentes situations. L’une d’elles s’en prend à une des rares mesures de protection dont bénéficient les travailleuses et travailleurs âgés au Québec afin de prendre en compte la pénibilité du travail.

La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit en effet une protection particulière pour une travailleuse ou un travailleur âgé d’au moins 55 ans quand il est victime d’une maladie professionnelle ou d’au moins 60 ans quand il est victime d’une autre lésion professionnelle (accident du travail par exemple). Si la lésion laisse cette travailleuse ou ce travailleur avec des limitations fonctionnelles l’empêchant de refaire son travail et que l’employeur ne peut le réintégrer dans un nouvel emploi, la CNÉSST doit l’indemniser jusqu’à l’âge de 68 ans.

Cette disposition prévoit aussi que si l’employeur rend disponible un emploi convenable pour cette travailleuse ou ce travailleur âgé, mais qu’il met fin à l’emploi dans les deux ans qui suivent le début de son exercice, la victime récupère aussitôt son droit à l’indemnité.

Autrement dit, la loi prévoit que la CNÉSST ne peut pas exiger qu’une victime de lésion professionnelle âgée entreprenne une nouvelle carrière ailleurs sur le marché du travail.

Notons que rien n’empêche une travailleuse ou un travailleur âgé qui le souhaite à chercher et à occuper un nouvel emploi chez un autre employeur. La CNÉSST ne peut cependant pas l’y obliger et, si la victime demeure sans emploi, elle continuera de recevoir une indemnité pleine jusqu’à 65 ans, qui sera ensuite réduite de 25 % par année pour s’éteindre à 68 ans.

Cette mesure institue donc une présomption d’incapacité de travail qui protège le droit à l’indemnité des travailleuses et travailleurs âgés qui ne peuvent retourner au travail chez leur employeur en raison de leurs limitations fonctionnelles causées par leur lésion.

Cette mesure, qui prend en compte la pénibilité du travail, est semblable à celle qui existe dans le régime de rentes du Québec en matière de rente d’invalidité à compter de 60 ans.

La réforme attaque la protection des victimes de lésions professionnelles âgées

Le projet de loi du ministre Boulet modifie l’article qui encadre cette disposition particulière, abolissant par le fait même la présomption d’incapacité protégeant les travailleuses et travailleurs âgés.

On élimine d’abord la distinction prévue dans la Loi actuelle pour les victimes de maladies professionnelles âgées de 55 à 59 ans au moment de leur lésion. Ces travailleuses et travailleurs incapables de refaire un emploi dans l’entreprise qui les a rendus malades ne bénéficieront donc plus d’aucune protection particulière.

Sans l’éliminer complètement, le projet de loi réduit de façon importante la protection dont bénéficient les victimes de lésions professionnelles âgées de 60 ans et plus. La CNÉSST pourrait désormais déterminer un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail pour ces travailleuses et travailleurs, malgré leur âge avancé.

À la différence des autres travailleuses et travailleurs, qui ne bénéficient ensuite que d’une année d’indemnité pleine pour trouver l’emploi convenable, les travailleuses et travailleurs âgés de 60 ans et plus conserveront cependant leur droit à l’indemnité pleine jusqu’à ce que cet emploi convenable devienne disponible, et ce jusqu’à 65 ans.

La recherche d’emploi obligatoire

Cependant, même si les victimes de lésions professionnelles de 60 ans et plus ne seront pas soumises au délai d’un an pour trouver l’emploi convenable, le projet de loi prévoit doter la CNÉSST de nouveaux pouvoirs qui lui permettront de forcer la recherche de cet emploi.

La réforme prévoit en effet l’ajout d’un motif permettant à la CNÉSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, si une travailleuse ou un travailleur refuse de se prévaloir d’une mesure de réadaptation. Parmi les mesures de réadaptation que pourra désormais imposer la CNÉSST figure « des services de support en recherche d’emploi ». La CNÉSST pourrait donc obliger les victimes de lésions professionnelles, y compris les travailleuses et travailleurs de 60 ans et plus, à se prévaloir de tels services sous peine de suspension de leur indemnité.

Le projet de loi dote en outre la CNÉSST du pouvoir règlementaire d’ajouter des mesures de réadaptation parmi celles qu’elle pourra imposer. Avec ces nouveaux pouvoirs, la CNÉSST pourrait par exemple imposer des quotas de recherches d’emploi (tel que de faire un minimum de 3 ou 5 applications par jour, voire davantage) et suspendre l’indemnisation des victimes qui n’obtempèrent pas.

Ces nouveaux pouvoirs que le projet de loi prévoit accorder à la CNÉSST pourront servir de levier afin d’obliger les travailleuses et travailleurs de 60 ans et plus à chercher un emploi.

Pourquoi la protection des victimes âgées doit être défendue

Il n’est jamais facile pour une victime de lésion professionnelle, qui conserve des limitations fonctionnelles l’empêchant de refaire son travail, de se réorienter et de trouver un nouvel emploi. La plupart des employeurs préfèrent évidemment embaucher une travailleuse ou un travailleur en parfaite santé. Plusieurs pratiquent une discrimination inavouée face aux victimes de lésions professionnelles.

Pour les victimes de 55 ou de 60 ans et plus, cette obligation de se réorienter en vue d’un nouvel emploi est pratiquement mission impossible. D’autant plus que la CNÉSST, déjà peu encline à offrir des formations véritablement qualifiantes aux travailleuses et travailleurs en général, l’est encore moins en ce qui concerne les travailleuses ou les travailleurs plus âgés. C’est pourquoi la protection dont ils bénéficient dans la loi actuelle est importante et doit être préservée.

La remise en question de cette rare mesure de protection des travailleuses et travailleurs âgés par le projet de loi est inacceptable. Au-delà de la volonté de la CNÉSST de réaliser des économies, le ministre inscrit possiblement cette modification projetée à la loi dans la tendance qui pousse plusieurs sociétés à repousser l’âge de la retraite et à encourager le maintien d’une vie professionnelle active jusqu’à un âge avancé.

Le problème est que cette idée ne tient aucun compte des impacts de pénibilité du travail sur la santé et sur l’espérance de vie des travailleuses et travailleurs qui exercent des « métiers pénibles », ce qui est souvent le cas des victimes d’accidents et de maladies du travail. Malgré la meilleure volonté du monde, travailler longtemps n’est pas envisageable pour tous et la pénibilité du travail est justement un facteur qui force souvent une retraite précoce, même en l’absence de lésion professionnelle.

Si la mesure de protection qui figure à la loi actuelle doit au contraire être défendue et préservée, c’est aussi parce qu’elle est la seule mesure du régime de réparation des lésions professionnelles qui prenne un tant soit peu en compte la pénibilité du travail. Le ministre Boulet devra comprendre à quel point il est odieux d’obliger des travailleuses et des travailleurs, qui se sont ruinés la santé en travaillant, à entreprendre une réorientation professionnelle forcée à la veille de leur retraite.

 

 

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