Enjeux-SST

Bulletin n° 13

Abolition de la réadaptation physique et autres reculs

Le projet de loi n° 59 attaque le droit à la réadaptation

La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit qu’une travailleuse ou un travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à la réadaptation physique, sociale et professionnelle que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

Concrètement, le droit à la réadaptation permet aux victimes d’accidents ou de maladies du travail, dont la lésion entraîne des séquelles permanentes, de bénéficier de différentes mesures prévues par la loi.

Or, ce droit à la réadaptation est attaqué par le projet de loi du ministre Boulet, qui prévoit plusieurs reculs à ce chapitre. La réforme prévoit notamment l’élimination complète du droit à la réadaptation physique ainsi que d’autres limitations.

La réadaptation dans la Loi actuelle

La Loi prévoit qu’une victime d’accidents ou de maladies du travail qui conserve des séquelles permanentes a droit à la réadaptation pour y pallier. Ce droit débute donc normalement après la période des traitements et la consolidation médicale de la lésion, une fois que l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles ont été évaluées.

Ce sont les travailleuses et travailleurs qui demeurent handicapés qui peuvent avoir droit à la réadaptation. La Loi détaille ce qui peut être accordé dans le cadre de chaque type de réadaptation : physique, sociale et professionnelle.

L’abolition de la réadaptation physique

Dans la Loi actuelle, la réadaptation physique a pour but d’éliminer ou d’atténuer l’incapacité physique d’une victime de lésions professionnelles en l’aidant à développer ses capacités résiduelles pour pallier à ses limitations.

La réadaptation physique peut inclure notamment des soins médicaux ou infirmiers, de la physiothérapie ou de l’ergothérapie, ou tous autres traitements jugés nécessaires par le médecin traitant.

Le projet de loi n° 59 prévoit l’abolition du droit à la réadaptation physique. Toute référence à ce droit serait éliminée de la Loi. Il s’agit d’un recul important pour les victimes de lésions professionnelles aux prises avec des séquelles permanentes.

Il faut savoir que la CNÉSST refuse habituellement l’autorisation de traitements après la consolidation médicale d’une lésion. De tels traitements ne visent plus la guérison, puisqu’il est établi à ce moment que la lésion entraîne une atteinte permanente, mais plutôt la réduction des douleurs et des limitations, la préservation des acquis et la prévention d’une aggravation. De tels traitements ne sont généralement pas axés sur le retour au travail, mais sur la réduction des conséquences de la lésion pour la victime. Dans la logique comptable de la Commission, des traitements qui ne visent pas un retour rapide au travail sont simplement vus comme une dépense inutile.

Or, le droit à la réadaptation physique permet souvent à des travailleuses et travailleurs handicapés par leur lésion d’obtenir des traitements de soutien prescrits par leur médecin traitant après la consolidation médicale. Son abolition risque d’avoir des effets dramatiques sur la qualité de vie des travailleuses et des travailleurs qui en ont besoin en raison des séquelles de leur lésion. Il est très injuste de s’en prendre ainsi aux droits des personnes qui doivent vivre pour le restant de leurs jours avec un handicap.

Des limitations pour la réadaptation sociale et professionnelle

En plus d’éliminer le droit à la réadaptation physique, le projet de loi n° 59 prévoit des limitations aux droits des victimes en réadaptation sociale et professionnelle.

La réadaptation sociale vise à aider une victime à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle. En vertu de ce droit, une travailleuse ou un travailleur peut par exemple obtenir le paiement de travaux d’entretien courant du domicile qu’il ne peut plus faire en raison de sa lésion, comme la tonte de la pelouse ou le déneigement. Des victimes lourdement handicapées et devenues incapable de prendre soins d’elles-mêmes peuvent en outre obtenir un montant mensuel pour se payer des soins d’aide personnelle à domicile. Il est aussi possible de faire adapter un véhicule ou son domicile à un handicap résultant de la lésion.

Par ailleurs, la réadaptation professionnelle a pour but d’aider une victime de lésions professionnelles à réintégrer son emploi malgré ses limitations fonctionnelles ou, quand ce n’est pas possible, un emploi convenable. Cela peut inclure par exemple le paiement d’une formation ou des services d’aide à la recherche d’emploi.

Le projet de loi n° 59 prévoit des limites strictes à ce qu’une victime pourrait désormais obtenir en vertu de son droit à la réadaptation sociale ou à la réadaptation professionnelle. Avec la réforme, il ne serait plus possible d’obtenir quoique ce soit qui ne serait pas explicitement prévu par la Loi ou par un règlement.

Notons que la Loi actuellement énumère déjà ce qu’une travailleuse ou un travailleur peut obtenir en vertu de son droit à la réadaptation sociale et professionnelle, mais les listes actuelles ne sont pas limitatives. Il est fréquent que le Tribunal autorise une mesure de réadaptation ne faisant pas partie d’une liste, si elle permet d’atténuer d’une autre manière les conséquences de la lésion pour la travailleuse ou le travailleur. Avec ce que prévoit le projet de loi, de telles mesures ne seraient plus possibles.

Une réadaptation uniquement axée sur le retour au travail

Les changements prévus par le projet de loi au droit à la réadaptation semblent exprimer clairement la volonté d’axer la réadaptation presque qu’exclusivement vers le retour au travail. L’abolition de la réadaptation physique s’inscrit dans cette tendance, tout comme les restrictions à la réadaptation sociale.

Soulignons par ailleurs que le projet de loi prévoit doter la CNÉSST du pouvoir d’imposer des mesures de réadaptation avant la consolidation médicale d’une lésion. Or ces mesures avant la consolidation ne visent que la réadaptation professionnelle, c’est-à-dire le retour au travail le plus rapide possible. Malgré cette nouvelle réadaptation en période de traitements médicaux, le droit à la réadaptation ne débuterait toujours qu’après la consolidation de la lésion.

Autrement dit, la CNÉSST pourra imposer des retours au travail précipités sous forme de « mesures de réadaptation avant la consolidation », mais les travailleuses et travailleurs devront toujours attendre après la consolidation pour pouvoir demander des mesures de réadaptation sociale, tel que l’entretien courant du domicile ou l’aide personnelle à domicile.

Des reculs inacceptables

Une lésion professionnelle a des conséquences pour la victime et son entourage qui vont bien au-delà de la perte de la capacité de travail. Si on veut réparer les lésions et leurs conséquences, tel que l’énonce la Loi, les travailleuses et travailleurs doivent avoir droit à des mesures de réadaptation qui permettent d’en atténuer toutes les conséquences, y compris celles qui concernent la perte de leur qualité de vie.

En ce sens, les restrictions prévues par le projet de loi aux mesures de réadaptation s’inscrivent à l’encontre de l’objectif de réparer les conséquences des lésions professionnelles. Ces changements, qui attaquent les droits des victimes les plus handicapées par leur lésion, sont totalement inacceptables.

 

 

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