Enjeux-SST

Bulletin n° 2

La «modernisation» de la liste des maladies présumées professionnelles

La réforme rendra plus difficile l’admissibilité des maladies

Durant les mois ayant précédé le dépôt de son projet de loi n° 59, le ministre Boulet a maintes fois parlé de la nécessité de «moderniser» la liste des maladies présumées professionnelles par la loi.

Il est vrai que cette liste n’a pas évolué depuis l’adoption de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la Loi) en 1985. Malgré l’émergence de nouvelles maladies en raison des changements dans les milieux de travail et de l’évolution des connaissances scientifiques, aucune nouvelle maladie du travail n’a été ajoutée à la liste en 35 ans.

Malheureusement, la réforme du ministre Boulet ne modernise pas du tout cette liste. Il s’agit plutôt d’un immense retour en arrière, qui rendra dans les faits plus difficile, voire impossible, la reconnaissance de plusieurs maladies professionnelles

L’importance de la liste des maladies professionnelles

La liste des maladies professionnelles est actuellement inscrite à l’Annexe I de la Loi. Cette liste joue un rôle crucial pour la reconnaissance des maladies professionnelles qui y figurent. La réclamation d’une travailleuse ou d’un travailleur atteint de l’une de ces maladies est en effet facilitée par une présomption légale. Si la victime de la maladie a exercé le travail qui y correspond selon l’Annexe I, elle n’a pas à faire la preuve scientifique que c’est son travail qui a causé sa maladie. C’est le cas par exemple de l’amiantose dont souffre un travailleur ayant exercé «un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante» ou de la tendinite dont est victime une travailleuse qui exerce «un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées». Ce n’est par contre pas le cas du syndrome du tunnel carpien par exemple qui ne figure pas à la liste.

Notons que la liste de l’Annexe I est bien courte et que plusieurs maladies professionnelles reconnues ailleurs n’y figurent pas. À titre comparatif, l’Organisation internationale du Travail (OIT) reconnaît plus du double de maladies professionnelles que la liste québécoise.

Le transfert de la liste de la Loi à un règlement

La réforme du ministre Boulet prévoit de supprimer la liste protégée par la Loi pour la remplacer par une liste inscrite dans un règlement que la CNÉSST pourra ensuite modifier à sa guise. Selon le ministre, c’est un progrès puisqu’un règlement est plus facile à modifier qu’une loi.

Ce que ne dit pas le ministre, c’est que la CNÉSST dispose déjà, dans le cadre de la Loi actuelle du pouvoir règlementaire d’ajouter des maladies à la liste de l’Annexe I. Or, depuis 35 ans que la Loi existe, jamais la CNÉSST ne s’est prévalue de ce pouvoir prévu par l’article 454. 1°. L’histoire prouve donc qu’on ne peut accorder aucune confiance à la CNÉSST pour utiliser un pouvoir règlementaire afin d’améliorer la reconnaissance des maladies professionnelles.

Ce qui changerait avec le règlement prévu par le projet de loi n°59, c’est que la CNÉSST pourrait désormais enlever des maladies de la liste et ajouter des seuils et conditions pour rendre plus difficile leur reconnaissance, ce que la Loi actuelle ne lui permet pas. Gageons qu’elle ne s’en privera pas.

Aucun gain réel avec la nouvelle liste

Le projet de loi du ministre Boulet ne se contente pas de transférer la liste de l’Annexe I de la Loi à un règlement. Il prévoit la version initiale de ce règlement, qui doit être adopté en même temps que le projet de loi et qui contient une nouvelle liste de maladies présumées professionnelles destinée à remplacer celle qui existe dans la loi actuelle.

Un examen de cette nouvelle liste nous force à constater qu’elle ne contient aucun ajout significatif par rapport à la liste de l’Annexe I. Les seules maladies ajoutées sont certains cancers dont sont victimes les pompiers, déjà reconnus par la CNÉSST par ses politiques depuis plusieurs années, et le trouble de stress post-traumatique, que la CNÉSST accepte habituellement comme accident du travail.

Il est choquant de constater que la « modernisation » voulue par le ministre Boulet ignore complètement des maladies professionnelles largement reconnues par la science et la plupart des régimes d’indemnisation ailleurs dans le monde. La nouvelle liste continue ainsi de laisser de côté des maladies causées par le travail comme l’épicondylite, le syndrome du tunnel carpien et la maladie de Parkinson causée par l’exposition aux pesticides.

Des reculs importants pour la reconnaissance de certaines maladies

La nouvelle liste règlementaire qui figure dans le projet de loi introduit surtout, pour certaines maladies, de nouveaux seuils ou conditions que la travailleuse ou le travailleur devra désormais rencontrer pour bénéficier de la présomption de lésion professionnelle. À titre d’exemples, mentionnons :

  • pour une surdité professionnelle, une exposition à un seuil de plus de 85 décibels (dBA) pendant huit heures par jour sur une période d’au moins deux ans;
  • pour une tendinite, au moins 50% du temps travaillé devra consister à répéter le même mouvement ou la même séquence de mouvements ou de pressions;
  • pour un cancer associé à la fumée d’incendie, avoir effectué le travail de pompier pendant au moins 15 ou 20 ans et n’avoir fumé aucun produit du tabac pendant au moins dix ans avant un diagnostic.

L’introduction de tels critères est un grave recul pour les droits des travailleuses et des travailleurs. Ces conditions rendront plus difficile l’admissibilité de ces maladies et donc l’accès aux indemnités et à l’assistance médicale pour les victimes.

Ce n’est sans doute pas un hasard si on retrouve la tendinite et la surdité professionnelle parmi les maladies pour lesquelles des conditions sont ajoutées : ces lésions occupent actuellement les deux premiers rangs en nombre parmi les maladies professionnelles acceptées par la CNÉSST chaque année. Le fait que la réforme rende plus difficile leur reconnaissance vise à réduire les coûts de d’indemnisation de ces maladies.

Des exclusions complètes

Soulignons enfin que le nouveau règlement sur les maladies professionnelles prévoit aussi, pour la première fois depuis 1979, l’exclusion complète de certaines maladies professionnelles. Il s’agit de maladies pour lesquelles non seulement la victime ne bénéficiera pas de présomption, mais qui seront légalement impossible de faire reconnaître et indemniser. Pour le moment, le projet de loi ne prévoit que les atteintes auditives inférieures ou égales à 22,5 dBA parmi ces exclusions complètes, mais on peut prévoir que la CNÉSST ne tardera pas à en ajouter d’autres.

On le constate, le projet de loi n°59, loin de «moderniser» la reconnaissance des maladies du travail, menace de nous ramener plus de 40 ans en arrière.

Souhaitons que les personnes et organisations qui ont à cœur les droits des travailleuses et des travailleurs dénonceront ces changements prévus par le projet de loi et exigeront une véritable reconnaissance de toutes les maladies causées par le travail!

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