Enjeux-SST

Bulletin n° 3

Mesures de réadaptation avant la consolidation médicale

Le travail forcé pendant les traitements médicaux

Le projet de loi n° 59 déposé par le ministre Boulet prévoit de grands bouleversements au chapitre de la réadaptation des victimes de lésions professionnelles. La réforme amputera plusieurs droits des travailleuses et des travailleurs tout en élargissant dangereusement les pouvoirs de la CNÉSST, l’autorisant aux pires abus.

Le projet de loi prévoit notamment la création d’une nouvelle période de « réadaptation avant la consolidation ». La CNÉSST disposerait alors du pouvoir d’imposer des mesures de réadaptation professionnelle alors que la travailleuse ou le travailleur est en suivi médical et reçoit des traitements pour sa lésion. Certaines des dispositions prévues par le projet de loi pour cette nouvelle période sont particulièrement inquiétantes et méritent qu’on s’y attarde.

La période qui précède la consolidation

Rappelons d’abord que la « consolidation » correspond à la guérison ou à la stabilisation d’une lésion. La période qui se situe avant la consolidation est donc celle pendant laquelle il est encore possible d’améliorer l’état de santé de la victime d’un accident ou d’une maladie du travail, généralement grâce à des soins et traitements.

Dans la loi actuelle, c’est le médecin traitant de la travailleuse ou du travailleur qui prescrit les traitements durant cette période consacrée prioritairement à soigner la blessure ou la maladie. Jusqu’à la consolidation médicale, la victime est présumée incapable de faire son travail. La CNÉSST et l’employeur sont alors liés par l’avis du médecin traitant, à moins d’initier une procédure d’évaluation médicale et d’obtenir un avis du Bureau d’évaluation médicale (BÉM) pour contredire cet avis. Autrement, aucun retour au travail ne peut être imposé sans l’accord du médecin traitant, aussi longtemps que la lésion n’est pas consolidée.

Dans certains cas, le médecin traitant peut juger que la travailleuse ou le travailleur est apte à reprendre son travail avant la consolidation, dans le cadre d’un retour progressif au travail par exemple. L’employeur peut également proposer une assignation temporaire de travail à un poste ou à des tâches plus légères, ce que le médecin traitant peut autoriser ou non. La CNÉSST peut aussi suggérer des mesures en vue de la réadaptation de la travailleuse ou du travailleur, tel qu’un programme de réentraînement à l’effort ou une formation en vue d’une réorientation.

La réadaptation avant la consolidation

Le projet de loi prévoit d’accorder à la CNÉSST le pouvoir d’imposer des mesures de réadaptation visant à « favoriser sa réinsertion professionnelle », pendant la période de traitements médicaux qui précède la consolidation.

Le projet de loi énumère les mesures que la CNÉSST pourra imposer. Parmi elles, on retrouve le retour progressif au travail pour que la travailleuse ou le travailleur blessé ou malade puisse « développer sa capacité à reprendre graduellement les tâches que comporte son emploi ».

Évidemment, une fois qu’elles auront été décidées, ces mesures seront obligatoires pour la travailleuse ou le travailleur. Le projet de loi prévoit d’ailleurs que la CNÉSST pourra réduire ou suspendre l’indemnité d’une victime qui ne participerait pas à une mesure de réadaptation qu’on aura décidée pour elle.

L’accord du médecin serait facultatif

Pour toutes les mesures de réadaptation avant la consolidation, il est prévu que la CNÉSST pourra consulter le médecin traitant « lorsqu’elle l’estime nécessaire ». On comprend que l’accord du médecin sera entièrement facultatif pour ces mesures, incluant le retour au travail forcé en période médicale.

Ce n’est donc plus le médecin traitant de la travailleuse ou du travailleur qui jugera de la pertinence d’un retour progressif au travail ou de la capacité de la victime d’une lésion à faire des travaux légers alors qu’elle est en période de traitements, comme dans le cas d’une assignation temporaire proposée par l’employeur. Ces mesures seraient décidées directement par la CNÉSST et imposées à la travailleuse ou au travailleur.

Il s’agit d’un immense recul pour le respect de l’opinion du médecin traitant et, par le fait même, d’un grave recul pour les droits des victimes de lésions professionnelles.

La CNÉSST pourra s’autoriser des pires abus

Les nouvelles dispositions permettront en fait à la CNÉSST d’aller carrément à l’encontre de l’avis du médecin traitant qui s’opposerait à une assignation temporaire proposée par l’employeur. Il suffira à la Commission de déclarer que l’assignation temporaire proposée devient une « mesure de réadaptation avant la consolidation » pour que la travailleuse ou le travailleur soit obligé d’exécuter le travail auquel on veut l’assigner temporairement.

Le projet de loi semble d’ailleurs avoir été pensé pour l’imposition de ce type de retour au travail avant la consolidation, en prévoyant notamment un nouveau formulaire d’assignation temporaire sur lequel le médecin traitant devra donner son avis sur des « limitations fonctionnelles temporaires ». Face à un médecin refusant l’assignation proposée par l’employeur en raison d’un risque d’aggravation de la lésion ou parce que cette assignation n’est pas favorable à la réadaptation, la CNÉSST pourrait s’inspirer de ces limitations temporaires pour imposer, sans consulter le médecin, une « assignation temporaire » à sa façon, sous forme de mesure de réadaptation avant la consolidation.

Rien n’empêcherait non plus la CNÉSST d’imposer un retour progressif au travail basé non pas sur la condition réelle de la victime et sur l’avis de son médecin, mais sur ce que dit la littérature médicale et les supposées normes biomédicales au sujet du diagnostic de la lésion. Par exemple, la CNÉSST pourrait décider qu’après huit semaines de traitements pour une entorse lombaire, il est temps de tenter un retour progressif au travail.

Une interdiction de contester

Le projet de loi prévoit aussi explicitement une interdiction de demander la révision ou de contester au Tribunal une décision de la CNÉSST sur les mesures de réadaptation imposées avant la consolidation.

Cette disposition est particulièrement choquante. La loi actuelle prévoit la possibilité de contester pratiquement toute décision de la CNÉSST. Une exception notable est l’avis de son propre médecin qu’une travailleuse ou un travailleur ne peut valablement contester. En élargissant cette exception aux mesures de réadaptation avant la consolidation, la réforme placerait ces mesures hors de tout contrôle des tribunaux. Dès lors, la CNÉSST pourrait imposer un retour au travail forcé avant consolidation sans que le médecin ou le Tribunal ne puissent s’y opposer.

Des retours au travail accélérés au mépris de la santé des travailleuses et travailleurs

Accorder de tels pouvoirs à la CNÉSST tout en éliminant le contrôle du médecin traitant et celui du Tribunal ouvre toute grande la porte aux pires abus. On peut déjà prévoir que la CNÉSST, toujours mue par ses objectifs de contrôle des coûts, ne tardera pas à abuser de ces nouveaux pouvoirs en imposant des retours au travail accélérés sans égard à la santé des victimes et les risques d’aggravation des lésions. Pour la santé des victimes d’accidents et de maladies du travail, il faut empêcher l’adoption de ces dispositions de la réforme!

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