Enjeux-SST

Bulletin n° 5

Travailleuses et travailleurs non-syndiqués

Les grands oubliés du projet de loi n° 59

Le projet de loi n° 59 modernisant le régime de santé et de sécurité du travail entrainera des reculs importants pour les travailleuses et travailleurs non-syndiqués, alors que ces derniers ne bénéficieront généralement pas des quelques avancées prévues par la réforme.

Des mécanismes de prévention qui fonctionnent difficilement sans syndicat

Le principal gain de cette réforme pour les travailleuses et travailleurs concerne l’extension de l’application des mécanismes de prévention prévus par la Loi sur la santé et la sécurité du travail. On prévoit étendre la couverture de ces mécanismes à 94% des travailleuses et des travailleurs, alors qu’ils ne s’appliquent qu’à moins de 20% d’entre eux actuellement.

Malheureusement, les non-syndiqués bénéficieront bien peu de ce progrès en prévention. Ces mécanismes reposent en effet sur la participation des travailleuses et des travailleurs et ils ne peuvent fonctionner efficacement que si les salariés sont représentés par un syndicat. En l’absence d’une telle organisation, les travailleuses et travailleurs ont un rapport de force très faible face au pouvoir du patron.

Contrairement aux grandes associations syndicales, les groupes représentant les non-syndiqués n’ont pas été consultés dans l’élaboration de la réforme. Il n’est donc pas étonnant qu’aucun mécanisme n’ait été identifié pour pallier à cette difficulté dans les milieux non-syndiqués, notamment dans les petites et moyennes entreprises.

À titre d’illustration, on aurait pu s’inspirer de ce que prévoient d’autres législations, comme par exemple la création de représentants à la prévention itinérants pouvant intervenir dans des entreprises non-syndiquées. Malheureusement, on ne retrouve rien de tel dans le projet de loi.

Si les non-syndiqués ne bénéficieront généralement pas des avancées prévues du côté de la prévention, ils seront frappés de plein fouet par certains changements prévus du côté Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Plusieurs éléments de la réforme les affecteront particulièrement.

Réintégrations forcées chez l’employeur

La réforme intègre une obligation d’accommodement raisonnable pour l’employeur en matière de retour au travail suite à une lésion professionnelle. C’est certainement, pour plusieurs travailleuses et travailleurs, une amélioration par rapport à la situation actuelle. Le projet de loi fera en sorte de forcer, dans beaucoup de cas, le retour d’une victime d’accident ou de maladie du travail chez l’employeur, même après l’expiration de son droit de retour au travail.

C’est certainement un gain, mais cette nouvelle obligation de l’employeur aura aussi un effet pervers, soit celui de priver plusieurs victimes de l’accès à la réadaptation professionnelle et de la possibilité d’être indemnisées pour chercher un nouvel emploi ailleurs sur le marché du travail. En effet, cette obligation d’accommodement de l’employeur sera accompagnée d’une obligation pour la travailleuse ou le travailleur de retourner chez son employeur, ce qui mettra fin à ses indemnités de remplacement du revenu.

Les non-syndiqués risquent d’en pâtir, particulièrement dans le cas d’un employeur hostile qui ne se gênera pas pour refuser le retour au travail, exercer des mesures d’intimidation pour se débarrasser de la travailleuse ou du travailleur ou encore procéder à un congédiement après quelques mois. Sans revenu et sans le soutien d’un syndicat, faire une plainte pour sanction illégale à la CNÉSST s’avérera extrêmement difficile.

Afin d’éviter une telle position de vulnérabilité, il aurait été préférable pour les non-syndiqués de pouvoir choisir entre imposer à l’employeur son devoir d’accommodement ou de bénéficier des services de réadaptation professionnelle afin de trouver un nouvel emploi dans une autre entreprise, ce qui souvent ne sera plus possible avec le projet de loi.

La complexification des procédures

La complexification générale des procédures est un autre élément important qui change avec la réforme du ministre Boulet et qui risque d’avoir des impacts sur l’ensemble des travailleuses et travailleurs, mais particulièrement pour les non-syndiqués.

Le projet de loi complexifie en effet la procédure de réclamation pour maladie professionnelle. Cette réclamation devra désormais être produite avec un formulaire particulier et dans un délai variant selon le type de maladie. Faire une erreur peut s’avérer fatale sur le sort d’une réclamation.

La procédure de contestation des décisions serait aussi modifiée de façon importante. Certaines décisions pourraient être contestées directement au Tribunal, d’autres devraient l’être en révision administrative. Il serait aussi possible de contester au Tribunal si la révision administrative tarde à se prononcer. Avec deux parties au dossier et la possibilité de différents litiges pouvant se déplacer à plus d’une reprise d’une instance à l’autre, la situation pourrait rapidement devenir fort embrouillée et difficile à suivre. Cela pourrait facilement devenir un véritable casse-tête rempli de pièges pour une victime d’accidents ou de maladies du travail non représentée.

Pour les travailleuses et travailleurs qui n’ont pas le soutien d’un syndicat, les risques de pertes de droits semblent particulièrement élevés.

On peut d’ailleurs se demander pourquoi le ministre n’a pas envisagé la mise sur pied de bureaux de conseillers des travailleurs financés par le régime, comme il en existe dans toutes les autres provinces du Canada.

Des travailleuses et travailleurs vulnérables oubliés

Parmi les non syndiqués qui risquent de perdre beaucoup avec la réforme, mentionnons les salariés d’agence de placement, pour qui ce projet de loi semble particulièrement inadapté. Pour ces travailleuses et travailleurs, dont l’employeur (l’agence de placement) n’a aucun contrôle sur les conditions de travail, il est particulièrement difficile d’imaginer comment les mécanismes de prévention ou les nouvelles dispositions de retour au travail pourront fonctionner. Dans les faits, ces travailleuses et travailleurs risquent plus que jamais d’être laissés pour compte.

On peut aussi souligner la situation des travailleuses domestiques, déjà exclues du régime d’indemnisation sous la loi actuelle, dont certaines continueront d’être discriminées dans le cadre de cette supposée « modernisation ».

Un ministre qui méprise les non-syndiqués

Ce n’est sans doute pas un hasard si le projet de loi ignore à ce point la réalité des non-syndiqués. Contrairement aux grandes organisations syndicales et patronales, les associations qui défendent les travailleuses et travailleurs non-syndiqués victimes d’accidents et de maladies du travail n’ont jamais été invitées à prendre part aux discussions sur le projet de réforme. Ces mêmes associations viennent d’ailleurs d’être exclues de la commission parlementaire qui doit se pencher sur le projet de loi dès janvier prochain.

Le monde du travail ne se limite pourtant pas aux seules organisations syndicales et patronales comme semble le croire le ministre. Les non-syndiqués représentent en effet 60% des travailleuses et des travailleurs.

Face à un projet de loi qui menace leurs droits, les travailleuses et travailleurs syndiqués et non-syndiqués devront s’unir pour faire comprendre à ce ministre méprisant que sa « modernisation » ne passe pas!

 

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