Enjeux-SST

Bulletin n° 7

Reconnaissance des cancers professionnels

Un parcours à obstacles que le projet de loi va aggraver

La sous-reconnaissance des cancers causés par le travail est un problème bien documenté du régime de réparation des lésions professionnelles. Chaque année, la CNÉSST reconnaît et indemnise moins d’une centaine de travailleuses et de travailleurs suite à une réclamation pour un cancer professionnel. Or, selon les études publiées au cours des dernières années (notamment une étude de l’Institut de recherche Robert Sauvé en santé et sécurité du travail, IRSST) le travail serait responsable de l’apparition d’au moins 1 800 à 3 000 nouveaux cancers à chaque année au Québec. Les chercheurs estiment aussi que le nombre de cancers professionnels réels est en croissance et qu’entre 1 070 et 1 700 travailleuses et travailleurs décèdent à la suite d’un cancer professionnel chaque année.

Les cancers professionnels reconnus et indemnisés par la CNÉSST ne représentent donc qu’une portion insignifiante, probablement inférieure à 5 %, des cancers réellement causés par le travail. De toutes les catégories de maladies liées au travail, les cancers sont certainement celles que l’on déclare le moins et qu’on reconnait le moins.

Les obstacles à l’admissibilité des cancers

Cet écart astronomique entre les cancers causés par le travail et ceux qui sont reconnus et indemnisés par la CNÉSST s’explique en grande partie par la difficulté de prouver le lien entre un cancer et le travail dans le cadre de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la Loi).

En effet, alors que le Règlement sur la santé et la sécurité du travail identifie 71 agents chimiques présents dans les milieux de travail comme des cancérigènes démontrés ou soupçonnés chez l’humain, la liste des maladies présumées professionnelles de l’annexe I de la Loi n’en admet qu’un, soit la fibre d’amiante. Pour tout cancer lié au travail, mais causé par une contrainte ou une substance autre que l’amiante (dans les cas de cancers pulmonaires et de mésothéliome), la travailleuse ou le travailleur a le fardeau de prouver la relation entre son cancer et l’agent cancérigène. La preuve scientifique qu’il faut présenter est souvent hors d’atteinte de la victime.

La réforme ne règle rien

Pour l’admissibilité des cancers causés par le travail, le projet de loi n° 59 déposé par le ministre Boulet représente une immense déception. Loin d’améliorer les choses, la réforme rendra en fait plus difficile l’admissibilité de beaucoup de cancers professionnels.

Le projet de loi prévoit le remplacement de la liste des maladies professionnelles de l’annexe I de la Loi par un règlement introduisant une section sur les maladies oncologiques (ou cancers). On y retrouve le cancer pulmonaire et le mésothéliome dûs à une exposition à la fibre d’amiante, comme dans la liste actuelle. On y ajoute également les cancers dont sont victimes les pompiers combattants en raison de leur exposition à des gaz ou fumées d’incendie. C’est un progrès, mais notons que la CNÉSST s’était déjà dotée il y a quelques années d’une politique pour accepter ces cancers même s’ils n’étaient pas inscrits à l’annexe I. Dans les faits, l’inscription de ces cancers à la liste ne fait qu’officialiser une pratique déjà établie.

Notons aussi que ces cancers dont sont victimes les pompiers se voient assortis de conditions particulièrement restrictives. Pour bénéficier de la présomption facilitant la reconnaissance d’un de ces cancers, la victime devra prouver qu’elle a exercé le métier de pompier durant au moins 15 à 20 ans et, dans certains cas, qu’elle n’a pas fumé de produit du tabac pendant les 10 ans précédant son diagnostic. De telles restrictions n’ont jamais existé pour aucune maladie dans la liste actuelle de la Loi.

Mis à part l’ajout de ces cancers dont sont victimes les pompiers, la nouvelle liste des maladies professionnelles du projet de loi n’ajoute aucun cancer professionnel, même ceux qui sont causés par des produits que la CNÉSST reconnaît déjà comme cancérigènes dans ses propres règlements.

La littérature médicale identifie plusieurs dizaines d’agents cancérigènes dans les milieux de travail. La liste des maladies professionnelles de l’Organisation internationale du travail (OIT) énumère explicitement vingt substances présentes dans les milieux de travail causant des cancers professionnels. La plupart des chercheurs qui se penchent sur le sujet admettent que plusieurs centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs sont exposés à des agents cancérigènes dans leur milieu de travail au Québec.

Prétendre « moderniser » la Loi tout en continuant d’ignorer tous ces cancers et la science est une insulte aux travailleuses et aux travailleurs.

Le BAPE sur l’amiante ignoré

Notons par ailleurs que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a publié au mois d’août dernier son rapport L’état des lieux et la gestion de l’amiante et des résidus miniers amiantés. Ce rapport souligne à quel point les maladies liées à l’amiante affligent les travailleuses et les travailleurs.

Dans le cas précis du mésothéliome de la plèvre, un cancer extrêmement agressif de l’enveloppe des poumons pratiquement toujours causé par l’amiante, le BAPE recommande que la présomption de maladie professionnelle soit rendue « irréfragable », c’est à dire qu’elle soit impossible à contester par l’employeur ou la CNÉSST. En pratique, une telle présomption assurerait l’indemnisation des victimes de ce mésothéliome, sans que les employeurs ne puissent s’y opposer.

Déposé un peu plus de trois mois après ce rapport, le projet de loi du ministre Boulet ignore complètement cette recommandation du BAPE. Si le projet de loi maintient la présomption pour le mésothéliome causé par l’amiante, cette présomption demeure renversable et les employeurs pourront continuer de contester les réclamations des travailleuses et des travailleurs et de disputer à leur succession les indemnités de décès prévues par la loi.

Les comités des maladies oncologiques : un obstacle de plus pour les victimes

Non seulement le projet de loi n°59 rate l’occasion d’apporter les améliorations nécessaires à l’admissibilité des cancers causés par le travail, mais il introduit un nouveau mécanisme pour ces maladies qui nuira à leur reconnaissance et à leur indemnisation.

La réforme prévoit en effet une procédure particulière pour les réclamations pour les cancers autres que pulmonaires et de ceux dont sont victimes les pompiers.

Pour tous ces autres cancers, le projet de loi crée des « comités de maladies professionnelles oncologiques » ayant pour mandat de statuer sur la validité du diagnostic émis par le médecin traitant et, si celui-ci est reconnu, sur les limitations fonctionnelles et l’atteinte à l’intégrité physique de la travailleuse ou du travailleur, ainsi que sur la relation entre la maladie et le travail. La CNÉSST sera liée par l’avis du comité sur le diagnostic et les autres questions médicales, sans égard à l’opinion du médecin traitant, généralement une ou un oncologue.

Cette procédure rappelle celle que prévoit déjà la Loi actuelle pour les maladies professionnelles pulmonaires, où six pneumologues sont mandatés pour réviser l’opinion du médecin traitant. Comme pour les maladies pulmonaires, elle aura pour effet de rendre plus difficile la reconnaissance des cancers professionnels en instaurant une procédure de contestation médicale automatique et obligatoire dès le dépôt de la réclamation.

Il est urgent de mieux reconnaître les cancers causés par le travail et ce n’est pas en imposant une procédure de contestation médicale supplémentaire qu’on y arrivera. Le ministre Boulet devra comprendre que ce qui est prévu par le projet de loi n° 59 pour les cancers professionnels est inacceptable.

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